« Petites histoires dans la grande Histoire », Eric Cartereau Crespin nous propose de découvrir ces anecdotes relatées dans des courriers, des grimoires ou des livres ; elles ont émaillé la vie des habitants des villages. Fondées sur la réalité ou issues d’une légende, ces histoires nous permettent de mieux appréhender le passé.
Extrait d’une Lettre du 15 Décembre 1787, écrite par M. Combis , Curé de Villedieu en Bas Vendomois (1), à M * *.
«Voici une espèce de phénomène qui fait en tout sens beaucoup de bruit dans nos cantons. Depuis plus de trois semaines presque tous les soirs , sur les 7 à 8 heures, on entend dans l’air un bruit semblable à celui d’une chasse de chiens formant une meute nombreuse : les voix sont variées , il semble qu’on distingue surtout celle d’un gros limier qui paraît conduire la marche et suivre la bête : toutes les autres sont plus ou moins grosses (2), sourdes ou aiguës; la chasse part des bois de Villedieu près Marcé (3) , au delà de la forêt de Gattine ; Mardi au soir elle était à Croixval (4), et le même soir à Villedieu : les Gens de M. l’Abbé de St. Cyr (5) l’ont entendue pendant près de 4 heures ; elle croit encore hier au soir à Villedieu : on a eu même fanfare à Château-du-Loir : je l’ai entendue fort à mon aise il y’a 15 jours : partie de la meute était au-dessus de ma tête , le reste vers la Chapelle de St. Laurent (6); l’abboi des chiens est parfaitement imité, et la variation forme une symphonie agréable, surtout pour ceux qui aiment le bruit de la chasse , il n’y manque qu’un cors ; je fuis fâché que ce phénomène n’ait pas paru dans le temps oû vous habitiez la Ribochère. Voici les jugements qu’on porte sur cette chasse aérienne. . . Nos gens de campagne en sont effrayés : ceux qui ont entendu parler de la fameuse chasse d’Artur , Roi d’Angleterre, ajoutent maintenant foi à cette fable; quelques gens imaginent que ce sont les puissances de l’air dont parle St. Paul, auxquelles il aura plu de prendre des corps aériens, soit sous la forme, soit sous la voix de chiens, etc. Quant à moi, Monsieur , je pense que ce sont des oiseaux nocturnes, étrangers et extraordinaires qui ont quitté leurs climats, et par hasard se sont arrêtés dans nos bois. Ce qui m’embarrasse et me surprend le plus ce font ces voix si différenciées. Si quelquefois vous vous trouviez avec quelques habiles Naturalises ou Voyageurs, ils pourraient vous dire s’il y a des oiseaux dont le chant ou le cri imitent l’abboi des chiens de chasse. »
Note des rédacteurs :
Ce phénomène n’est pas nouveau, il y a plusieurs Provinces où la Tradition l’a conservé sous les noms de chasse de St. Hubert, de St. Euftache , de chasse du diable , etc.
M.le Curé de VilleDieu paraît lui assigner sa vraie cause : des oiseaux de mer, de rivière ou d’étang, voyageurs, et trompés par la douceur de la saison actuelle , n’auront point été chercher plus loin la température qui leur convenait et qu’ils ont trouvée dans le bas Vendomois ; d’ailleurs l’excessive quantité d’eau tombée depuis deux mois, a rendu le sol assez aquatique pour que ces oiseaux s’y soient mépris et aient cru habiter un pays marécageux. Les grues, les cigognes, les canards sauvages, lors de leur transmigration, les merles qui se répandent dans les plaines de Champagne à l’époque de la récolte des avoines, font une sorte de phénomène pour ceux qui ne sont pas familiarisés avec ces concerts aériens ; c’en est également un pour le bas Vendomois que ce concert d’oiseaux marinset aquatiques, dont chaque espèce a son mode, dont les sons sont répercutés d’après les loix de la Tautologie ( des échos ) par l’air , les bois , les montagnes , les rivières, ce qui peut imiter le bruit de la chasse , qui n’est lui même qu’une modification de sons dans l’air.
A Chantilly, les oies du Canada et d’Egypte sont dans l’usage de s’envoler le soir avant le coucher du soleil, pour aller paitre aux environs, et souvent à la distance de 5 ou 6 lieues, ce qui les fait appeler dans le pays, voleurs de nuit; le départ est annoncé, ainsi que le retour au matin , par un concert, mais qui n’est pas le même. Quelques jours de gelée feront vraisemblablement déserter ces oiseaux du bas Vendomois, pour aller chercher une température qu’ils n’auront trouvés là que momentanément.
(1) Villedieu Le Château
(2) Aboiement particulier des chiens de chasse quand il sentent le gibier ou quelque chose d’étrange
(2) Village aujourd’hui disparu, entre Chemillé sur Dème et Montrouveau
(3) Prieuré de Croixval à Ternay
(4) Vraisemblablement Jean Baptiste Sébastien Prévost, abbé de Saint Cyr, prêtre du prieuré de Croixval.
(5) Chapelle détruite à la révolution, vestiges (porche) dans l’enceinte du cimetière.
Publication du numéro 363 du « journal de Paris », samedi 29 décembre 1787, transcription et notes,
Eric Cartereau-Crespin.
