
J’ai récemment pris le train, un TGV qui me conduisait du Midi de la France à Lyon. Installé dans un demi-wagon en hauteur, je fus surpris par le silence, habitué aux coups de fils dévoilant les détails d’un séjour de vacances ou la description de quelque avanie du quotidien sans aucun souci d’autrui. Le silence régnait car tout le monde lisait, à part une jeune femme assise en face de moi qui brodait, des gens de tout âge, jeunes, vieux, principalement des femmes, non point le nez sur le smartphone scrutant les dernières publications des réseaux mais un livre à la main ou déposé sur la tablette rétractable, chacun transporté dans un autre univers, une autre vie. Je n’avais pas connu un tel état de grâce, car c’en était un, depuis fort longtemps.
La lecture, quel merveilleux cadeau que l’on me fit !
Je revis ma grand-mère, que j’observais à travers les persiennes, installée confortablement dans un fauteuil en osier sur la terrasse de la maison de Sainte Colombe aux heures chaudes des après-midis d’été, un livre à la main, tandis que j’étais consigné dans ma chambre le temps d’une sieste réglementaire.
Moi aussi, je voudrais lire comme toi l’après-midi lui déclarais-je redoutant un refus. Très bien, nous irons choisir un livre pour toi demain à la librairie de Saint Amand pendant que ton grand-père flânera au marché.
J’hésitais devant les livres du rayon jeunesse. Dumas, c’est bien, tu devrais commencer par celui-là, dit-elle, en me mettant « Les Trois Mousquetaires » entre les mains, un joli livre de la collection Rouge et Or, avec un D’Artagnan éclatant, l’épée à la main, en couverture.
Dès lors, je fus admis à la terrasse à l’heure de la sieste pour lire dans un fauteuil d’osier à côté de ma grand-mère. Alors, disait-elle parfois, où en es-tu ? Que se passe-t-il pour D’Artagnan ? Aussitôt, je lui narrais les dernières aventures des Mousquetaires m’exerçant à résumer les péripéties. Puis je reprenais ma lecture, je quittais la terrasse de Sainte Colombe pour Paris pour croiser le fer avec les hommes du Cardinal, je découvrais le courage, l’honneur et le panache, je tremblais devant l’imprudence de la Reine, frissonnais près de Madame Bonacieux et languissais de revoir Milady. J’étais devenu, à mon tour, un lecteur.
Pendant les années scolaires qui suivirent, ma grand-mère m’expédia régulièrement des livres de Dumas. Puis, un jour, je me mis à l’écoute des mots en parcourant au hasard les rayons des libraires, je devins mon propre maître.
La lecture m’a accompagné toute ma vie, les livres m’ont sauvé. Ce serait là le seul message à transmettre.
Que d’expériences vécues, d’époques traversées, de terres lointaines arpentées ! Je me désole de voir les adolescents délaisser Dumas pour Tik Tok, ses vidéos brèves et addictives.
Parfois, fouillant un bac de vieux livres chez un bouquiniste, je retrouve un exemplaire défraîchi des Trois Mousquetaires de la collection Rouge et Or. Je parcours au hasard quelques paragraphes et me retrouve sur la terrasse de Sainte Colombe, cet été-là, aux heures chaudes de l’après-midi.
Marc Vincent
Le Mille-Pattes est heureux de pouvoir proposer à ses lecteurs cet excellent texte de Marc Vincent qui les transportera dans le monde merveilleux de l’enfance, à l’époque où les livres permettaient encore de découvrir le monde avant que l’addiction aux écrans de tout genre, ne vienne brouiller leur perception.
Nous adressons nos plus vifs remerciements à Marc Vincent et espérons qu’il voudra bien, de temps à autre, nous faire partager son plaisir d’écrire.